lundi 14 octobre 2024

Reportage :Ingeborg RIESSER par Pascale GARNIER

 


Au commencement était Ingeborg Riesser...

    Bon, d'accord, aux petites jeunes (de moins de 50 ans), ce titre un peu biblique peut paraître excessif, mais nous, les vétérans qui avons découvert la miniature dans les années 80, nous savons bien tout ce que nous lui devons ! En ce temps-là, les loisirs créatifs l'étaient bien peu : en dehors du tricot, du macramé et de l'encadrement, l'horizon était bien vide. 
Certes, les techniques (point de croix, pochoirs, etc) existaient mais les motifs étaient, comment dire... peu inspirants (je viens de regarder les catalogues Loisirs au féminin et Modes & Travaux de cette époque, et il n'y a rien à sauver...).

 

    C'est alors qu'Ingeborg a pris les choses en main : l'univers des maisons de poupées lui a toujours été familier car en Allemagne, la Maison de Poupée est une tradition bien ancrée. Les plus anciennes et les plus précieuses sont conservées dans les Musées. Cette tradition se poursuit de nos jours, avec des fabricants comme Bodo Hennig qui créent de robustes maisons et accessoires pour le jeu des enfants. 

Mais c'est lors d'un voyage en famille aux USA en 1974, qu'elle a découvert, d'abord dans une boutique, puis sur des salons, le monde raffiné de la miniature contemporaine au 1/12ème avec les créations d'artisans d'excellence. Elle était émerveillée par leurs prouesses, le respect des techniques et des styles, l'utilisation de matériaux nobles, l'élégance des formes chez Barbara Davis, Mark Murphy, Jim Ison, James Hastrich, Jane Graber, Carolyn Lockwood et bien d'autres, sans oublier l'imaginaire plein de fantaisie d'artisans comme Karen Markland... 

    Et ainsi a commencé sa magnifique collection qu'elle a poursuivie durant 40 ans : elle achetait ou faisait fabriquer par des artistes chevronnés d'abord anglo-saxons (Susan Rogers et Kevin Mulvany, Jim Martyn...), puis français (Pierre Mourey, Catherine Soubzmaigne, Philippe Velu, Denis Weigel...) des pièces ou des scènes sur des thèmes qui l'inspiraient (et aussi quelques maisons) et réalisait elle-même la mise en scène en choisissant les objets, les meubles (citons ici les créations des regrettés Patricia et Bruno Herbillon) et les personnages.

    Dans les années 80, les magasins de miniatures en France étaient rares et centralisés sur Paris : il y avait Sigrid Décor (une Suédoise qui importait de Taïwan), "Le canard à roulettes" de Charles Delattre rue Mazarine (un magasin dédié aux poupées et quelques maisons de poupées, magasin aujourd'hui disparu dont Léa Frisoni a fait la réplique au 1/12e), un petit rayon de miniatures chez Pain d'Epices passage Jouffroy (le magasin existe toujours), également Corvinus de Dominique Drijard à Châtelet (puis aux Halles, magasin aujourd'hui disparu).

    C'est ainsi que très tôt, l’idée de faire de sa passion une activité professionnelle et d'ouvrir un marché en France a germé et en décembre 85 Ingeborg a ouvert rue Poussin à Paris sa boutique Poupée Tendresse. Pour la décrire, ce sont les mots d'Alphonse Daudet qui me viennent à l'esprit : ah qu'elle était jolie, la petite boutique de la rue Poussin... Qu'elle était jolie avec ses harmonies de couleurs rose et vert, ses rideaux froncés Laura Ashley, ses étagères remplies de poupées, ses vitrines abritant de minuscules trésors... Lorsque j'y suis allée pour la 1ère fois en janvier 86 après avoir vu l'information dans une revue, je ne savais pas encore que cette visite changerait ma vie : que d'émotions, découvertes, amitiés et voyages, la miniature a apporté dans la vie de toutes celles qui, comme moi sont tombées dans le chaudron !


    La vie d'Ingeborg était à cette époque un tourbillon excitant, une succession d’idées qui devenaient aussitôt des projets puis des réalisations. Non contente d'ouvrir sa boutique de miniatures, poupées et ours contemporains, elle a créé avec ses premiers clients et Montélimar Energie, au printemps 1986 Le Club de la Miniature Française qui a rassemblé jusqu'à 1500 membres (avec le Club de la Poupée d'Artiste fondé en 1992) autour du magazine trimestriel, son "bébé", qui la tenait éveillée des nuits durant et pour lequel elle a donné de son temps et son argent sans compter (je me souviens qu'elle payait de sa poche quelqu'un pour relire et corriger les premiers numéros, puisque le français qu’elle parle pourtant très bien n'est pas sa langue maternelle).

    Parallèlement, elle a cherché à doter la Miniature d'un salon dédié ou au moins d'un univers proche : le Salon de la Maquette et du Modèle Réduit (porte de Versailles) ne collait pas bien à l'univers de la maison de poupées. Un partenariat fut trouvé en 1987 avec Toymania, le mythique Salon du jouet Ancien de collection, jusqu'à ce que Kathy Moreau crée en décembre 1995 Paris Création où la miniature a trouvé sa place aux côtés des ours et des poupées, 2 fois par an durant de longues années, avant que le SIMP de Christine Voirin ne voit le jour (salon exclusivement réservé à la miniature, devenu aujourd'hui un salon semi annuel géré par Adriana Millot).

Thierry Cornillet et son Association Montélimar Energie sont venus en renfort en créant un Festival d'été dès 1986 qui accueillait les artisans et organisait des expositions temporaires. Le Club a toujours bénéficié du soutien de Thierry Cornillet, devenu par la suite Maire de la ville. 


    Betton, Vincennes, Vannes, Saint Etienne, Chazelles, Nantes, Bordeaux, Bruxelles, Fontainebleau, le Château de Vendeuvres, le Château Meillant, Saint Galmier, Lausanne (pour ne citer que ces villes)… elles sont innombrables, les expositions auxquelles elle prêtait généreusement son concours et sa collection pour faire mieux connaître la miniature, mais citons encore celles, prestigieuses, de l'Hôtel de Sens à Paris et celle, itinérante, au Japon en 2000 et 2001.

    Pour impulser une dynamique, elle a prêté son appartement parisien pour accueillir les premiers stages de maîtres miniaturistes comme Barry Hipwell, Bill Robertson, Denis Hillman (ce dernier en 1989). 

    Sous son impulsion, le Club de la Miniature Française organisait aussi des concours au sein des Salons, lançait des éditions limitées d'ours et poupées réservées aux membres du Club, éditait des cartes postales... Toujours entreprenante et dynamique, elle a montré ses collections à travers des ouvrages de grande qualité édités par Massin. Epuisés, mais toujours collectors, ces livres se trouvent encore sur des sites de seconde main : on y découvre l'étendue de sa collection, sa richesse et sa beauté. La plupart des photos qui illustrent cet article en sont extraites.

    Bien que sensible à la performance, Ingeborg n'est pas émotionnellement attirée par la prouesse de l'infiniment petit (comme les 2 moustiques jouant aux échecs d'Alexis Konovalov, exposés à Montélimar ou les sculptures sur grain de riz). Ce qu'elle aime, c'est créer des intérieurs miniatures en respectant scrupuleusement l'authenticité des matériaux et l'échelle du 1/12ème ; on pourrait la définir comme décoratrice d'intérieur en miniature. Elle-même se considère comme « un antiquaire-décorateur en miniature, qui dispose à sa guise les objets qu’il a chinés, avec la différence que ces objets ne sont pas réellement anciens, mais de style ancien uniquement ». Tous les éléments de mobilier ne doivent pas être nécessairement du même style mais ils doivent s'assembler harmonieusement entre eux, tout comme nos intérieurs contemporains peuvent accueillir un fauteuil hérité de grand-papa ou un tableau XIXe. 


 

    Elle ne cherche pas à fabriquer des objets elle-même, encore moins à se spécialiser dans une technique : étant très exigeante sur la qualité, ses réalisations ne lui procurent pas autant de satisfaction que celles des artisans professionnels. Participant une fois à un stage de Bill et Lynn Langford, dont l'objectif était de réaliser une scène avec un petit pêcheur à la ligne assis sur un rocher près d'une cabane à l'abandon (voir la photo de sa réalisation), elle prit plaisir à modeler/sculpter le rocher en plâtre frais avec du papier d'aluminium froissé, concluant avec humour que si un jour elle devait faire des choses en miniature, elle se spécialiserait dans le délabré...

    Beaucoup d'artisans miniaturistes lui doivent d'avoir ouvert un marché en France : certains en ont fait un métier à temps complet, pour d'autres c'est une activité professionnelle d'appoint. Sa passion a fait d'innombrables émules : beaucoup d'amateurs ont trouvé, grâce à elle, un hobby passionnant, d’autres collectionnent uniquement, mais tous ont  noué des amitiés et orienté leur vie autour.
Des Clubs régionaux ou nationaux ont vu le jour dont l'activité se poursuit actuellement.


Mais tout passe, le dernier magazine est sorti en hiver 2006, le C.M.F s'est arrêté, Poupée Tendresse a fermé après 29 ans en 2014. Loin de savourer une retraite tranquille pourtant amplement méritée, Ingeborg se consacre à ses autres passions : elle fleurit et entretient toute seule sa terrasse (il lui faut pour cela apporter souvent de lourds sacs de terreau par un petit escalier en colimaçon), elle remplit des dizaines et des dizaines de scrapbooks, se consacre activement à ses 4 petits-enfants, elle voyage, n’hésitant pas à faire des centaines de kms pour assister à une représentation d’Opéra… 

    Beaucoup se demandent ce que devient sa collection : une partie est exposée chez elle mais la plus grande part est entreposée dans des caisses. Je rêve -et d'autres comme moi- d'un Musée qui la ferait connaître aux nouvelles générations, comme l'Art Institute of Chicago qui expose la fabuleuse et prestigieuse collection de Narcissa Thorne (sa modestie refuse cette comparaison car Narcissa Thorne a fait un travail d'historienne de l'habitat à travers ses reconstitutions). Mais lorsqu'on songe que la collection d’oeuvres d’art de Richard Wallace que sa veuve voulait léguer à la Ville de Paris pour l'exposer dans un Musée dédié, a finalement été dispersée parce que le projet n'a jamais été agréé par la ville, on ne nourrit guère d'espoirs. Laquelle de nous aurait dans son carnet d'adresses un riche mécène s'intéressant à la miniature et voulant faire oeuvre utile pour la postérité en faisant connaître sa magnifique collection dans un Musée privé comme cela existe en Angleterre et aux États Unis...?


 

    Au moment de terminer cet article, je ne suis pas sûre d'avoir fait le tour du parcours hors norme de cette pionnière qui nous a ouvert tant de voies et nous a insufflé sa passion. Pour cela et pour toutes ces années d'amitié, de découvertes, de voyages et de bons moments partagés, je lui dis un très grand Bravo et un immense Merci ! 

    Pascale

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